«Les éléments que détient la justice aujourd’hui prouvent l’implication personnelle de l’ancien président Boni Yayi dans les événements des 1er et 2 mai 2019» : en quelques mots, le procureur de tribunal de première instance de Cotonou, Mario Metonou, a pour la première fois mardi clairement mis en cause l’ex-président béninois Thomas Boni Yayi. L’accusation n’a rien d’anodin dans ce petit pays d’Afrique de l’Ouest, secoué par des troubles inédits depuis les législatives du 28 avril. «C’est certain, ils veulent le jeter en prison», s’inquiète une source contactée à Cotonou.
Un ancien chef d’Etat poursuivi par son prédécesseur, à la suite de manifestations ? Voilà qui serait totalement inédit dans un pays longtemps considéré comme la vitrine de la démocratie de l’Afrique francophone. Le Bénin a été en effet le premier à adopter le multipartisme en 1990 et, depuis cette date, l’alternance au pouvoir s’est toujours déroulée dans le calme. Ce fut encore le cas en 2016, lorsque l’actuel président Patrice Talon a gagné les élections face à Lionel Zinsou, dauphin du chef de l’Etat sortant, un certain Boni Yayi. Lequel avait décidé de ne pas se représenter après deux mandats successifs.
En quittant le pouvoir, ce dernier aurait-il pu alors imaginer que, trois ans plus tard, il se retrouverait assigné de facto à résidence, empêché de sortir de chez lui par un important dispositif sécuritaire déployé pendant les violentes manifestations post-électorales des 1er et 2 mai qui ont fait au moins quatre morts ? Et qu’après un mois et demi de confinement forcé, on lui ferait porter la responsabilité de la colère qui s’est exprimée dans la rue début mai ?
Il est vrai que Boni Yayi avait appelé les électeurs à ne pas se rendre aux urnes le 28 avril. Afin de dénoncer un scrutin qui, pour la première fois, se déroulait en l’absence de l’opposition. En cause : le nouveau code électoral et la «charte des partis», censée élaguer le trop-plein de partis politiques mais qui transforment en course d’obstacles administratifs insurmontables la participation aux élections. Résultat, seuls deux partis de la mouvance présidentielle ont réussi à s’inscrire à temps pour les législatives, raflant les 83 sièges de l’Assemblée, désormais entièrement acquise à Patrice Talon. Encore une première, dans un pays guère habitué à ce genre de manœuvre.
Quelques jours après le scrutin, les 1er et 2 mai, la colère se déverse dans la rue. Dans le quartier Cadjehoun, le domicile de Boni Yayi est aussitôt encerclé par les forces de sécurité qui n’hésitent à tirer à balles réelles sur ses partisans. A l’issue de ces journées de violences, «64 personnes ont été interpellées», a rappelé mardi le procureur, qui parle alors de «bandes organisées» pour désigner les manifestants, et dénonce «l’implication personnelle» de Thomas Boni Yayi.
Des médiateurs désignés pour apaiser les tensions
Enfermé chez lui, l’ancien président est resté silencieux depuis ces premiers troubles. Un juge dépêché pour l’auditionner à domicile, le 7 juin, est reparti bredouille, le prédécesseur de Talon affirmant ne pouvoir le recevoir «pour raisons de santé». Trois jours plus tard, alors que les forces de l’ordre viennent de procéder à trois arrestations dans sa localité natale de Tchaourou, à 350 kilomètres au nord de Cotonou, la petite ville s’embrase. Bientôt suivie de Savé, la localité voisine plus au sud sur le même axe routier. Les affrontements entre les militaires et les guerriers traditionnels venus soutenir la population vont durer plusieurs jours et feront au moins 7 morts cumulés pour les deux localités, ainsi qu’une cinquantaine de blessés dans les rangs des forces de l’ordre. Depuis, des médiateurs ont été désignés pour apaiser les tensions.
Richissime self made man, Talon avait en effet financé les campagnes électorales de Boni Yayi avant de se brouiller avec celui qui dirigeait alors le pays. Talon sera même accusé d’avoir tenté d’empoisonner son prédécesseur, lors d’une affaire rocambolesque qui n’a jamais connu d’issue judiciaire. Talon fuit alors en France, puis rentre au Bénin lorsque Boni Yayi lui accorde son pardon. En 2016, malgré son CV quelque peu sulfureux, «le roi du coton» tient enfin sa revanche en remportant les élections.
«Talon a privatisé le pays à son profit»
«A l’époque, Talon avait bénéficié du discrédit qui pesait sur la classe politique traditionnelle, engluée dans les scandales affairistes. On se disait qu’un entrepreneur à la tête du pays saura peut-être mieux le gérer», reconnaît de passage à Paris, Ganiou Soglo, fils du premier président démocratiquement élu, Nicéphore Soglo. «Mais en réalité, Talon a privatisé le pays à son profit», ajoute-t-il. L’actuel président millionnaire disposait déjà d’un véritable empire économique avant son élection, contrôlant les activités portuaires, la filière coton, le marché de la noix de cajou en partenariat avec un groupe indien, des hôtels, etc. «Depuis son arrivée au pouvoir, il a instauré pas moins de seize nouvelles taxes. Certaines bénéficient plus à ses entreprises qu’aux recettes publiques alors qu’aujourd’hui les Béninois ont du mal à s’offrir un repas par jour», rappelle Ganiou Soglo qui fut un temps ministre avant de devenir exploitant agricole. En outre, les hommes du nouveau président ont été placés à la tête de toutes les institutions. Et désormais, le président de «la rupture», son slogan de campagne, contrôle également l’Assemblée, restant inflexible face au mouvement de contestation qui s’est développé dans son pays.